lundi 20 octobre 2008

Suicide en prison : la question que je me pose...


Prison : sanction ou lieu d'exercice de la sanction ?



15 jours, 2 prisons, 3 suicides. Comment et surtout pourquoi des détenus parfois très jeunes et incarcérés pour de courtes périodes attentent-ils ainsi à leur jours ? On invoque des situations de détention inhumaines, des sujets instables, des concours de circonstance... mais cela paraît être des réponses un peu légèrement développées pour une question qui, pose celle, plus globale de l'avenir du système carcéral français, souvent pointé du doigt pour sa vétusté.


En effet, les prisons françaises sont des bâtiments lourdement datés au sein desquels, faute de place, s'entassent un nombre inadapté d'individus. Le débat régulièrement relancé se heurte à une société soucieuse de punir fort et à moindre coût l'ensemble des criminels. La traduction de ce point de vue conservateur est clairement visible dans des éléments comme l'opinion publique relative à la peine de mort (plébiscité d'avantage depuis quelques années), la réaction des gens lorsqu'on leur parle des conditions de détention (indifférents à l'idée de l'insalubrité totale des cellules). On en vient même à se demander quelle est selon eux la nature de la sanction d'emprisonnement. Réside-t-elle dans la privation de liberté ou dans la détention ? Autrement dit, la prison doit-elle être pensée comme une sanction à part entière (élément actif de la peine) ou comme le lieu d'exécution de la sanction (élément passif de la peine) ? Cette question est particulièrement complexe et implique de lourdes conséquences. En effet, selon que l'on penche plutôt d'un côté ou de l'autre, c'est toutes les infrastructures pénitencières qui seront différemment envisagées.


Pour aller au fond de la problématique ainsi posée, il faut d'abord se questionner sur le phénomène criminel (§1) pour ensuite réfléchir à la manière optimale de le sanctionner (§2).


§1. Le phénomène criminel


De très nombreux individus commettent des manquements aux règles de la société. Le phénomène criminel peut se définir comme étant un ensemble de comportements anti-sociaux qui provoquent une réaction spécifique du groupe, de la société : la sanction pénale qui est une des formes de sanctions parmi beaucoup d'autres. Il y a aussi des sanctions civiles, administratives, professionnelles, disciplinaires... Pour étudier parfaitement le phénomène criminel, il est judicieux de procéder en commençant par énoncer comment sont édictés les comportements anti-sociaux (A) pour ensuite s'attacher à leur description (B).


A. Détermination arbitraire des comportements anti-sociaux


Les hommes n'ont pas toujours vécu en société de façon harmonieuse. Il a fallut pour parvenir à un ordre social établir un ensemble de règles. Une sorte de contrat social comme il le fût décrit par Jean-Jacques ROUSSEAU. Chacun doit, pour qu'il soit efficient, le respecter. Ces règles se sont imposées, soit parce qu'elles étaient ce que l'on pourrait qualifier ou bien de règles transcendantes, ou bien de loi naturelles, d'autres par la force de contrainte de la souveraineté (d'un seul ou du peuple).


Ainsi est né un cadre définissant la limite entre l'autorisé et l'interdit. Longtemps monopole de l'Église ou d'un souverain tout puissant représentant de Dieu sur terre, ce pouvoir d'établissement de normes contraignantes est devenu plus « démocratique » avec une intervention, une participation accrue du peuple. Mais la démocratie a-t-elle pour autant fait disparaître le caractère arbitraire des règles ?


Il est intéressant de se poser la question eut égard de la façon dont fonctionne notre système politique démocratique. Je veux bien entendu parler de ce dont certains qualifient de tyrannie de la majorité. Car ce n'est pas l'ensemble de la population qui décide mais un noyaux bien plus restreint composé des représentants de la tendance majoritaire au sein de la population. Alors bien sûr, tout le monde, même les tendances minoritaires sont représentés dans les instances politiques de notre pays mais tout le monde sait parfaitement bien que ceux qui décident, ceux qui détiennent le véritable pouvoir sont, et cela est tout-à-fait légitime, ceux qui gagnent les élections. Or ce sont à ces mêmes détenteurs de pouvoir qu'il incombe, en tant que représentants de la « volonté générale » (il s'agit en fait de la volonté la plus générale possible), d'établir les limites entre ce qu'il est possible de faire et ce qui est prohibé. Il reste donc toujours une partie de la population qui ne décide pas de ces normes restrictives et contraignantes.


Ces comportements ainsi qualifiés de sociaux ou anti-sociaux deviennent applicable à tous. Or, ce qui parait anti-social pour un ne l'est pas forcément à la vue d'un autre. C'est sur ce paradoxe que l'on qualifie la démocratie comme le pire système à l'exception des tous les autres. Il est en effet préférable à un système où les règles seraient édictées selon la fantaisie d'un seul mais ce n'est pas pour autant qu'il supprime totalement l'arbitraire de la classification des comportements répréhensibles.


B. Les comportements anti-sociaux : tout ce que la majorité réprouve


Nous venons de voir comment la définition des comportements anti-sociaux par la société comporte toujours une part d'arbitraire et que cela est visiblement inévitable. Mais nous ne nous sommes pas interrogé réellement sur la nature des comportements anti-sociaux. Il apparaît donc nécessaire d'en donner une définition précise.


Les comportements qualifiés d'anti-sociaux peuvent être définit comme l'ensemble des actes et des façons d'agir réprouvés par la majorité détentrice, par l'intermédiaire de ses représentants, du monopole du pouvoir de contrainte légitime. C'est donc les courants de pensés les plus répandu dans la société qui, en définissant ce qui est la norme, définissent indirectement ce qui ne l'est pas.


Un comportement devient donc anti-social dès lors qu'il ne correspond pas aux us et coutumes d'une société donnée. Il s'agit donc d'une notion particulièrement abstraite. Un comportement socialement sanctionné à un endroit géographique donné ne l'est pas systématiquement ailleurs. De même, ce qui est sanctionné à un moment de l'histoire ne l'est pas forcément indéfiniment. On dit à propos de cela que la norme sociale n'est pas figée. Il découle de ce principe que les comportement anti-sociaux ne sont pas éternellement définis. Toute règle édifiée par l'Homme est par définition amovible.


On relèvera en dernier lieu le cas particulier des comportements qui sont qualifiés d'anti-sociaux car ne correspondant pas aux lois naturelles. Ce cas est particulier en ce sens que les règles normatives sont ici certes mises sous forme écrite par l'Homme mais sont des règles innées, certains diront divines ou transcendantes.


Il découle de ce premier paragraphe que le phénomène criminel correspond aux agissements d'individus proscrit par la société. Ce phénomène n'est pas figé, n'est pas définitivement défini outre ce qui concerne les lois naturelles. Cependant, bien qu'abstrait, parfois arbitraire et variable, ce phénomène est avant tout existant. Aussi la société, consciente du mal qu'il lui cause par sa nature même, a toujours cherché à le combattre. Pour cela, plusieurs grandes familles de peines ont été imaginées comme les sanctions par atteinte au corps (châtiments corporels) ou les mesures privatives de liberté (peines d'emprisonnement). Dans le cadre de notre étude, nous nous concentrerons davantage sur les mesures privatives de liberté.


§2 Les réactions de la société au phénomène criminel : la meilleure façon de punir


Face au phénomène criminel, la société a constamment imaginé des réactions. D'abord lourdes, disproportionnées et impersonnelles, les sanctions se sont progressivement perfectionnées. Devenues personnelles, équivalentes, intransitives et, plus tard, non corporelles, les peines sont devenues essentiellement financières et privatives de liberté. Ces dernières donnent lieu à des incarcérations. C'est là que se pose la principale question de mon développement, à savoir en quoi consiste exactement la peine d'emprisonnement. Où se situe l'élément actif de ce type de peine ? Se trouve-t-il dans la privation de liberté et l'exclusion de la société (A) ou dans l'incarcération et ses conditions (B) ?


A. L'exclusion de la vie sociale comme corps de la peine


Lorsqu'un individu commet une infraction, c'est-à-dire ne respecte pas les règles édictées par la société dans laquelle il vit, cela provoque une réaction de la part de cette dernière. L'une des sanctions les plus généralement prononcée, outre les sanction par ponction financière (de type amendes ou contraventions) sont les mesures dites « privatives de liberté. »

Ces sanctions ont pour but d'écarter le criminel de la société à laquelle il cause du tort. Il s'agit de protéger la société en excluant l'élément problématique. Mais en plus de mettre la société à l'abri, la peine se doit de prendre la forme d'une sanction. C'est-à-dire qu'il faut que le criminel soit punit. À cela la société n'a pas répondu en un bloc mais de façon différentes selon les obédiences politiques, selon les convictions.


Une des réponses a été de considérer que la sanction résidait dans la privation de liberté elle-même. Ainsi, les tenants de cette philosophie (dont je suis plus proche que de la seconde) pensent que le fait d'être privé de ses habitudes, coupé du reste du monde, tenu à l'écart de sa famille, dépourvu de vie sociale et professionnelle constitue en soit une sanction suffisante. En effet, le fait d'être mis au banc de la société entraine des conséquences parfois particulièrement importantes comme le chômage, l'éclatement de la sphère familiale etc...


En cela, l'emprisonnement constitue une punition et ne nécessite pas de peine supplémentaires. Le problème est que, d'une part ce point de vue n'est pas partagé par tout le monde et d'autre part la question se pose aujourd'hui d'une façon tout-à-fait différente. Car si la question est d'actualité en ce moment, c'est, comme je le disais plus haut, le débat sur l'état de délabrement de nos centres de détentions a été récemment relancé. Et cela car plusieurs détenus se sont suicidés en dénonçant les conditions d'incarcération difficilement supportables voire totalement inhumaines.


Mais comme à chaque fois que ce débat est relancé, certains s'empressent de proclamer que la société n'est pas là pour payer pour les criminels, que ces derniers ont mérité leur peine. En ce qui concerne le coût de l'emprisonnement et de la modernisation du système carcéral, j'invite ces personnes à réfléchir à ce que l'on paye : est-ce exclusivement la punition des criminels ou n'est-ce pas aussi en grande partie la mise en sécurité de la société. Autrement dit, la population paye-t-elle uniquement pour le criminel ou bien aussi un peu pour elle-même et sa tranquillité ?

B. L'incarcération comme mode de sanction direct

Ainsi, on a vu que certains, effrayés du fait de payer plus cher, considérant que la prison ne doit absolument pas offrir des conditions de vie qui soient ne serait-ce que semblables à celles des plus pauvres des français. C'est de là que vient la crainte : que quelqu'un vive aussi bien en prison que chez lui. Mais à cela j'ai envie de répondre plusieurs choses. D'une part, rares sont les personnes qui, dans la société civile libre, vivent aussi mal que les prisonniers, quoique l'on en dise. D'autre part, comment peut-on vivre aussi bien chez soi au milieu des siens que dans un centre de rétention coupé (même partiellement) du monde ? Si cela est aujourd'hui concevable alors il faut se demander comment des personnes peuvent en arriver à un degré tel de détresse. Enfin, si on s'en tient à la conception punitive de la prison en tant que telle, alors on en revient à la sanction par contrainte de corps, autrement dit aux châtiments corporels.


En effet, la sanction par contrainte de corps a disparu de notre pays définitivement depuis 1981 avec l'abolition, sous l'égide du socialiste Robert BADINTER de la peine de mort. Cela implique que tout recours à ce type de sanction constituerait un retour en arrière qu'il me semble juste de juger inquiétant.


Il en est de même pour tout ce qu'il s'agit de peine ayant pour élément actif l'atteinte au corps. Son maintient contre son gré ne l'est pas forcément s'il ne se fait pas dans des conditions d'insalubrité inacceptables. En revanche, quant à la castration chimique, admise dans certains pays, notamment au Canada, elle en est une, la peine de mort, la torture, les châtiments corporels (tels le fait de couper la main d'un voleur, de frapper quelqu'un jusqu'à expier ses méfaits...) aussi.


Lorsque l'on parle de torture, de mauvais traitements volontaires, de châtiments corporels, alors la conscience nous dis que ces peines sont d'un autre âge. Lorsque l'on parle de la peine de mort, déjà certains sauraient, et cela est véritablement inquiétant, la justifier. Ne pensez-vous pas finalement que penser que la prison constitue en elle-même une sanction revient à dire la même chose ?


Pour vous donner clairement mon point de vue sur le sujet, je vous dirais que la prison doit être le lieu où s'exerce une sanction qui est celle de la privation de liberté, de l'éloignement de la sphère familiale, sociale et professionnelle et non pas une sanction supplémentaire à la première. Ne parle-t-on pas de mesures privatives de liberté pour parler des peines d'emprisonnement ? Tenons-nous en là et essayons d'être à la hauteur de nos ambitions de pays des droits de l'Homme.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Quel travail ! C'est une dissert !
D'ailleurs j'ai mis du temps à lire, l'ayant copiée sous word. Tu aurais la publier en plusieurs fois pour chaque A et B.
Plusieurs remarques pour fêter mon retour (lis mon blog, tu vas vite me reconnaître et je vais réclamer ton "amitié" sur facebook) ;-)
- j'ignorais que le canada acceptait la castration chimique.
- "la réaction des gens lorsqu'on leur parle des conditions de détention (indifférents à l'idée de l'insalubrité totale des cellules)". TOUT A FAIT, ma propre mère disait comme connerie (elle en dit souvent) « Ils ont même la télé et les putes ».
- Une des réponses a été de considérer que la sanction résidait dans la privation de liberté elle-même. Ainsi, les tenants de cette philosophie (dont je suis plus proche que de la seconde) pensent que le fait d'être privé de ses habitudes, coupé du reste du monde, tenu à l'écart de sa famille, dépourvu de vie sociale et professionnelle constitue en soit une sanction suffisante. En effet, le fait d'être mis au banc de la société entraine des conséquences parfois particulièrement importantes comme le chômage, l'éclatement de la sphère familiale etc... JE PENSE PAREIL.
- "C'est de là que vient la crainte : que quelqu'un vive aussi bien en prison que chez lui". Tout lieu clos devient oppressant pour l'homme a moins qu'il ait peur de l'extérieur.

j'ai bcp aimé ton billet mais si tu l'as fait exprès pour ton blog, le temps passé ne doit pas te détourner des tes études de droit, et c'est un plus vieux juriste qui t'écrit ;-)

Maxime Mangeot a dit…

Je l'ai fais juste pour mon blog pendant une courte hospitalisation... Tu remarqueras que ce travail mon très cher petit grognard (j'avais déjà appris ton retour, désolé de ne pas avoir commenté, mes études de droit me prennent énormément de temps) est le fruit d'une longue réflexion. C'est ainsi que fonctionne désormais ce blog : moins, mais mieux ! Et puis, en faisant cela, je révise un peu mon droit pénal !

Le Crapaud du Marais a dit…

Une hospi ? J'espère que tu vas mieux.
Très bien moins mais mieux mais ne fais pas trop long : j'ai mis 20 min à lire (soit le temps pour corriger une copie ;-) ). Tout le monde n'a pas le temps.

Anonyme a dit…

Excellent travail mais j'ai besoin de prendre un peu de recul pour tout analyser (c'est un sacré boulot).

Ce que je trouve bien dans votre blog c'est qu'il y a matière à réflexion.

D'autres blogs NC ne sont que des copier/coller d'infos sans importance ou de compilations d'articles parus sur d'autres blogs ou dans la presse.

Concernant les prisons, le sujet est vaste et hélas pas nouveau. Notre ministre de la justice prétend avoir les cartes en main et connaitre les dossiers, pourtant c'est la déception qui s'installe.

Pour ça il faut mettre l'argent sur la table et respecter le monde judiciaire il n'y a pas de secrets.

Bon je relis le texte et je reviens éventuellement...surtout comme la première personne n'oubliez pas vos études, c'est important aussi !

Maxime Mangeot a dit…

Je n'oublierai pas mes études, promis !
LCDM, ma copie t'as-t-elle plu ? Allez, je ne vais pas devoir aller chez acadomia ou chez forma sup' ?

Anonyme a dit…

Bon devoir. Attention aux fautes (car c'est moins 1 au bout de 5). Continuez ;-)